Discours à la Conference International de Paris “Libérons les enfants de la guerre”
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by

Radhika Coomaraswamy

Secrétaire général adjoint, Représentante spéciale pour les enfants et les conflits armés

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Lundi, 5 Février 2007

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Monsieur le Ministre, Mme Veneman, distinguished delegates, and chers collegues: Enchantée d’être parmi vous à l’occasion de cette grande manifestation, je voudrais remercier le Gouvernement français et l’UNICEF de nous avoir rassemblés pour que nous nous engagions ensemble à protéger les enfants, à empêcher qu’ils ne soient recrutés illégalement et envoyés au combat et à veiller que leurs droits fondamentaux ne soient plus bafoués en temps de guerre.

Nous avons fait du chemin depuis la présentation du rapport de Graça Machel à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies en 1996, depuis ce fameux rapport qui a attiré l’attention du monde entier sur les besoins spécifiques des enfants dans les conflits armés. Même si nous avons évolué dans la bonne direction, aujourd’hui encore, dans plus d’une trentaine de situations jugées préoccupantes dans le monde, des enfants sont brutalisés et utilisés de manière impitoyable pour promouvoir les intérêts de certains adultes. On évalue à plus de 2 millions le nombre d’enfants tués par la guerre. Plus de 6 millions d’autres se retrouvent handicapés a vie. On estime le nombre d’enfants soldats à plus de 250 000. Des milliers de jeunes filles sont victimes de viols et d’autres formes de violence ou d’exploitation sexuelles. Le nombre de jeunes filles et garçons enlevés à leur foyer et à leur collectivité a atteint un niveau sans précédent. Les écoles et les hôpitaux qui devraient être des abris sûrs pour les enfants sont de plus en plus souvent les cibles de prédilection des groupes armés. Dans bien des cas, les parties au conflit refusent systématiquement aux organismes humanitaires l’accès aux territoires placés sous leur contrôle, ce qui a des conséquences désastreuses pour les populations civiles et en particulier pour les enfants.

Ces 10 dernières années, les enfants ont vécu des expériences tragiques de terreur et de privation dans de nombreuses situations de conflit telles que le Moyen-Orient, le Darfour et l’est du Tchad notamment. Ailleurs, comme en Haïti, où les tensions sont d’un autre type, les enfants sont victimes de recrutement systématique par des groupes armés, d’assassinats, de mutilations, d’enlèvements et de violences sexuelles. De plus, il semblerait que ces phénomènes impliquant des violations graves de leurs droits fondamentaux commencent à “migrer”, à traverser les frontières comme par exemple dans la région des Grands Lacs. Malgré les efforts herculéens déployés pour recenser, démobiliser et réintégrer les enfants soldats, l’insuffisance de financements a long terme et de cohérence dans les programmes de reconstruction a alimenté la vulnérabilité d’une population d’enfants abandonnés qui sont le plus à même d’être appelés ou forcés à participer à des conflits dans des pays voisins.

Je viens de passer une semaine au Soudan. Cette visite m’a permis de constater les souffrances que subissent les enfants en période de conflit. J’ai rencontré des parents d’enfants tués par la guerre ; des enfants qui avaient été recrutés par plusieurs groupes armés, des jeunes filles victimes de violences sexuelles et des enfants déplacés qui n’ont pas accès a l’aide humanitaire. Ils n’ont plus d’écoles, il n’y a pas assez hôpitaux et ils sont prisonniers d’une situation de pauvreté abjecte. Cependant, je me sens encouragée suite a mes entretiens avec le Gouvernement soudanais et les autres parties au conflit qui se sont engages a arrêter le recrutement et l’usage d’enfants soldat ainsi que par leur volonté de combattre les violences sexuelles. J’espère que leur mise en place sera effective et rapide.

Instruments de protection internationaux – Mettre fin à l’impunité

Ayant visité des zones de conflits et été témoin de la souffrance et de l’espoir des enfants qui ont été réintégrés dans leurs communautés ou qui attendent de l’être, je m’interroge. Comment se fait-il que 10 ans après le rapport Machel et 5 ans après la conférence sur les premiers principes du Cap, nous en sommes encore en train de réintégrer de milliers d’enfants à travers le monde qui ont été combattants, porteurs, espions ou esclaves sexuels ? Il faut en faire plus pour arrêter les abus, pour traduire les responsables en justice.

Alors que la situation sur le terrain nous rappelle qu’il n’y a pas de place pour la complaisance, nous devons reconnaître que d’importantes étapes ont déjà été franchies pour protéger les enfants de la guerre. Aujourd’hui 114 pays ont ratifié le Protocole additionnel de la Convention des droits de l’enfant relatif à la participation des enfants dans les conflits armés. Cet appel à l’action en faveur des enfants dans les conflits armés a été réaffirmé par les chefs d’Etats lors du Sommet mondial de 2005. Je demande instamment aux gouvernements qui ne l’ont pas encore fait d’envisager de prendre des dispositions à cet égard, et, à ceux qui l’ont déjà ratifiée, de prendre les mesures nécessaires pour interdire et pénaliser les pratiques telles que le recrutement et l’utilisation d’enfants par des groupes armés. Cet appel à l’action en faveur des enfants dans les conflits armés a été réaffirmé par les chefs d’Etats lors du Sommet mondial de 2005.

D’importantes initiatives sont actuellement en cours de réalisation pour mettre fin à l’impunité des groupes qui commettent, de manière répétée, de grave violations des droits de l’enfant dans les situations de conflits et pour protéger les enfants du fléau de la guerre.

En 2005, Le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1612 qui appelait à la création d’un mécanisme de suivi et d’établissement de rapports et d’un Groupe de travail sur les enfants dans les conflits armés. Dans l’année qui a suivi l’adoption de cette résolution, le Groupe de travail du Conseil de sécurité s’est réuni régulièrement sous la présidence avisée de l’Ambassadeur de la Sablière, Ambassadeur de France auprès des Nations Unies. Dans la même période, des progrès ont été réalisés dans la mise en place d’un mécanisme de suivi et d’établissement de rapports dans sept pays désignés prioritaires pour la première phase de la mise en œuvre, à savoir le Burundi, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, la Somalie, le Soudan, le Népal et Sri Lanka. Aujourd’hui, le Groupe de travail a examiné des rapports sur tous les pays concernés sauf ceux Sri Lanka et du Népal qui seront examinés cette semaine mois. En outre, le Groupe de travail reçoit tous les 2 mois une note horizontale qui couvre les autres situations préoccupantes ou signale les derniers développements survenus depuis la réunion précédente. L’objectif est que les rapports du Groupe de travail servent à « déclencher » une action de la part du Conseil et d’autres acteurs, pressant ainsi les parties aux conflits à mettre fin aux violations des droits de l’enfant.

Nous avons déjà pu mesurer des résultats probants. Certains groupes armés ont décidé d’entamer le dialogue avec les équipes de pays des Nations Unies sur le terrain et se sont engagés dans des plans d’action visant à libérer les enfants se trouvant dans leurs rangs. C’est le cas des ‘Force nouvelles’ en Côte d’Ivoire qui sous la pression coordonnée du bureau du Représentant spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire et de l’UNICEF ont souscrit à un plan d’action en vue d’arrêter le recrutement d’enfant soldats et de libérer les enfants qu’ils comptaient dans leurs rangs. Plus récemment, l’UNICEF et mon bureau avons reçu de la part du colonel Karuna, chef des Tigre Tamouls Makkal Viduthalai Pulighal (TMVP) au Sri Lanka, un engagement à collaborer avec l’UNICEF pour élaborer un plan d’action pour arrêter le recrutement et libérer les enfants dans leurs rangs. De même, l’Armée de libération nationale Karen, qui recruterait des enfants dans les camps de réfugiés en Thaïlande, a également signalé à l’équipe de pays des Nations Unies en Thaïlande et par une lettre envoyée à mon bureau qu’elle ne comptait plus d’enfants dans ses rangs et qu’elle autoriserait aux Nations Unies un accès sans entrave pour vérifier la cessation du recrutement. Mon bureau est en train de finaliser un acte d’engagement et un plan d’action répondant aux indications de la KNLA. En collaboration avec l’équipe de pays des Nations Unies sur place.

Des précédents importants ont également été établis dans la lutte contre l’impunité grâce à l’application de normes internationales en matière de protection des enfants. Ainsi, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé lundi dernier la confirmation des charges a l’encontre de Thomas Lubanga Dyilo, fondateur et chef de l’Union des patriotes congolais, dans la région de l’Ituri, en République démocratique du Congo, pour crimes de guerre, enrôlement, recrutement et emploi actif d’enfants de moins de 15 ans dans des hostilités. La CPI a aussi lancé des mandats d’arrêt contre cinq des principaux membres de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), notamment le chef des rebelles, Joseph Kony, contre lequel sont retenus 33 chefs d’accusation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en particulier pour meurtre, viol, asservissement, asservissement sexuel, recrutement forcé et utilisation dans un conflit armé d’enfants âgés de moins de 15 ans.

Et des processus nationaux en République démocratique du Congo ont récemment abouti à la poursuite et à la condamnation du commandant Jean-Pierre Biyoyo, du groupe armé Mudundu 40, par le Tribunal militaire national du Sud-Kivu, pour recrutement et emploi d’enfants dans un conflit armé. Par ailleurs, et pour la première fois, un ancien chef d’État, Charles Ghankay Taylor, du Libéria, a été placé sous la garde du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, inculpé de 11 crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment pour avoir enrôlé ou recruté des enfants de moins de 15 ans dans des forces ou des groupes armés et pour les avoir fait participer activement à des hostilités.

Toutes les situations de conflits armés et traitements similaires de tous les enfants où qu’ils vivent

Alors que les exemples que je viens de mentionner témoignent des avancées en matière de lute contre l’impunité contre les violeurs des droits de l’enfant, et en particulier en ce qui concerne les enfants soldats, nous devons élargir nos horizons à toutes les situations de conflit pour que les enfants soient traités de manière équitable où qu’ils vivent. De plus, nous devrions accorder plus d’importance aux autres violations graves des droits de l’enfant tels que les assassinats ou mutilations d’enfants, les attaques dirigées contre des écoles ou des hôpitaux, les enlèvements, les viols ou autres actes graves de violence sexuelle à leur égard ; le refus d’autoriser l’accès des organismes humanitaires aux enfants.

Assurer une plus grande protection aux enfants les plus vulnérables : les jeunes filles et les enfants déplacés à l’intérieur de leur propre pays

Les directives qui nous sont présentées sont très explicites. Les jeunes filles sont particulièrement vulnérables dans les situations de conflit armé. Elles sont trop souvent forcées à jouer des rôles multiples. Elles sont à la fois esclaves sexuelles, mères, aides de camps et combattantes. Elles ont malheureusement été négligées dans les stratégies de démobilisation et de réintégration. Des mesures spécifiques doivent être mises en place et des engagements proactifs doivent être pris par tous les acteurs pour faire en sorte que les jeunes filles soient non seulement mieux protégées mais également qu’elles puissent avoir les moyens de s’assumer lors de la réintégration dans leurs communautés.

Les réfugiés et les enfants déplacés dans leur propre pays ainsi que les enfants non accompagnés, les enfants isolés et les foyers dirigés par des enfants sont particulièrement vulnérables en temps de guerre. Nous devons veiller à mettre au point des stratégies pour éviter qu’ils ne se fassent enlever ou enrôler de force dans des groups armés.

Inclure des clauses sur les enfants dans les accords de paix favorise leur démobilisation et leur réinsertion

Depuis quelques années, plusieurs accords de paix dont ceux de Côte d’Ivoire, du Burundi et du Soudan contiennent des clauses sur la protection des enfants et sur leur démobilisation. De tels éléments font de plus en plus partie intégrante des accords de paix et nous espérons qu’ils deviendront normaux pour tous les accords de paix ou la question des enfants soldats est de mise.

Les directives dont il est question aujourd’hui mettent l’accent sur l’importance d’adopter une approche de fond répondant aux besoins spécifiques de démobilisation et de réintégration. Les accords de démobilisation des enfants requièrent une réponse immédiate tandis que leur réintégration dans leurs communautés demande plus de temps et nécessite une approche à long terme. Cette dichotomie doit être prise en compte aux différents stades des efforts humanitaires, de consolidation de la paix et de développement national. Trop souvent les besoins liés au volet de la réintégration tombent aux oubliettes dans les stratégies de financement des donateurs au moment où l’aide d’urgence se transforme en aide au développement. Il est donc indispensable de soutenir les efforts de réintégration à long terme et de favoriser l’emploi de jeunes.

Pour conclure, j’aimerais vous faire part de ce que mes visites sur le terrain m’ont appris. La souffrance des enfants est intolérable. Mais leur capacité à se reconstruire est époustouflante. Ils ont besoin de vous, de nous et de nos encouragements, de notre soutien. S’ils reçoivent l’attention appropriée, ils peuvent devenir des êtres exceptionnels et retrouver une place de choix dans la société. Ishmael Beah qui est parmi nous aujourd’hui en est un bel exemple. Ancien enfant soldat en Sierra Leone, il a été adopté par une mère américaine, il est allé à l’école et à l’université aux Etats-Unis et a réussi avec succès. Il vient d’écrire un livre pour nous faire partager son expérience d’enfant soldat. Son histoire est émouvante, dure, pleine de sagesse et de compréhension. Elle met en évidence le fait que les enfants peuvent s’en sortir et qu’ils peuvent nous apporter une lueur d’espoir. Nous nous devons de les aider et de les écouter.

Merci

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