Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

C’est un privilège et un honneur d’être ici aujourd’hui, pour vous présenter mon rapport qui couvre la période allant de mai 2012 à décembre 2013. Comme vous le savez, il y a moins d’une semaine, le Conseil de Sécurité a consacré un débat public au sort des enfants en temps de conflit armé. C’est dire combien le sort de ces enfants interpelle et préoccupe l’ensemble de la communauté internationale.

Nul besoin de vous dire que depuis ma dernière présentation en septembre 2013, l’intensité du conflit armé dans plusieurs pays a atteint des niveaux extrêmes, ayant un impact disproportionné et intolérable sur les enfants. En Syrie, au Soudan du Sud, en République Centrafricaine, mais aussi en Somalie, en Irak, en Afghanistan et dans bien d’autres pays, des milliers d’enfants sont recrutés, tués, mutilés, violés, endoctrinés, et forcés de commettre des atrocités. Les survivants sont privés d’accès à l’assistance humanitaire et à leurs droits sociaux, économiques et culturels les plus élémentaires. Des enfants sont souvent détenus sans bénéficier des garanties d’un procès équitable et sans le respect des normes et standards applicables dans le cadre de la justice des mineurs.

Monsieur le Président,

Au mois de décembre 2013, le Soudan du Sud a été secoué par une crise majeure qui a remis en cause tous les progrès accomplis sur la voie de la stabilité et de la construction de l’état de droit. Avant la crise, le gouvernement du Soudan du Sud était engagé dans un processus constructif avec les Nations Unies pour mettre fin au recrutement et à l’utilisation des enfants. Le pays est aujourd’hui le théâtre de violations extrêmement graves perpétrées contre des civils, y compris le recrutement, le meurtre et les mutilations d’enfants, aussi bien par les forces gouvernementales que les forces de l’opposition.

A ces déplacements massifs au Soudan du Sud, s’ajoutent près d’un million de déplacés et de réfugiés en République centrafricaine. Lors de ma mission à Bangui en décembre dernier, j’ai pu mesurer la gravité de la situation et j’ai été témoin de l’ampleur de la violence intercommunautaire et des violations extrêmement graves commises contre les enfants.

La République centrafricaine est confrontée depuis des années à des vagues successives de violence et de conflit armés aux conséquences dramatiques sur les enfants. Le recrutement d’enfants était structurel et représentait un défi majeur. Des groupes armés figuraient sur l’annexe au rapport du Secrétaire General pour recrutement et utilisation d’enfants depuis l’année 2005. Entre le début de la rébellion des Séléka fin 2012, à ce jour et malgré la capacité limitée de surveillance et de communication de l’information, on estime qu’entre 3 500 et 6 000 enfants ont été associés aux différents groupes armés, notamment la coalition des Séléka et les anti-Balaka. En 2013, avec la dégradation progressive de la situation sécuritaire, l’impact dévastateur de ce conflit sur ​​les enfants s’est accentué et ce, malgré le déploiement de plusieurs milliers de forces de maintien de la paix.

La violence intercommunautaire se poursuit dans une impunité totale et l’accès humanitaire reste très limité. Ce pays dans lequel les différentes communautés religieuses ont toujours vécu en harmonie se vide de sa population musulmane, forcée de choisir entre l’exil ou la mort. Ce cycle de violence est certes, la conséquence des abus et des exactions récurrentes commises par la Séléka depuis 2012 contre les populations chrétiennes, mais il est aussi le produit de la marginalisation et des disparités économiques et sociales qui ont affectés les communautés centrafricaines pendant des décennies.

Je réitère devant vous ce que je n’ai cessé de répéter à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois, il est urgent de mettre tout en œuvre pour arrêter ce cycle infernal de violence, assurer la protection des populations civiles et rétablir l’ordre et la sécurité. Ceci ne peut se réaliser sans une forte implication de la communauté internationale pour accélérer le rétablissement des fonctions régaliennes de l’Etat tout en ouvrant la voie au dialogue pour trouver une solution politique et rétablir la confiance entre les communautés.

S’agissant de la Syrie, que puis-je vous dire que vous ne savez déjà. Trois années consécutives de violence inouïe qui a affecté plus de 5 millions de personnes et qui a fait plus de 100,000 morts, dont au moins 10,000 enfants. Malgré les efforts déployés pour trouver une issue à ce conflit, les meurtres et les mutilations d’enfants se poursuivent et les attaques contre les écoles et les hôpitaux sont quotidiennes. Les enfants sont recrutés et utilisés par les groupes armés qui opèrent en Syrie et la violence sexuelle est utilisée comme tactique de guerre pour humilier et punir. Je ne cesse d’exhorter toutes les parties au conflit à cesser les violations et à prendre des mesures concrètes au risque de mettre en péril des générations entières et par là-même compromettre l’avenir de la Syrie.

Monsieur le Président,

Dans tous les pays affectés par le conflit armé, les enfants constituent la majorité ou presque de la population. Si rien n’est fait pour les protéger et leur rendre leur enfance, c’est l’avenir de ces pays qui est mis en danger. Les situations que je viens de décrire sont dramatiques, mais l’espoir n’est pas perdu. Des pays qui ont connu des drames similaires ont pu s’en sortir et renouer avec la paix, la réconciliation et le développement.

Mon rôle est de faire entendre la voix des enfants affectés par les conflits armés. Durant la période considérée, j’ai continué mon plaidoyer pour la protection de ces enfants auprès des partenaires bilatéraux et multilatéraux, mais aussi et surtout auprès des autorités nationales des pays concernés et notamment auprès des gouvernements qui ont signé des plans d’action avec les Nations Unies.

En novembre 2013, je me suis rendue en République Démocratique du Congo afin d’évaluer les progrès accomplis et les défis rencontrés dans la mise en œuvre du plan action signé en octobre 2012 pour mettre fin et prévenir le recrutement d’enfants et la violence sexuelle. La visite a aussi permis de constater les progrès importants réalisés et de rappeler aux autorités et aux partenaires des Nations Unies l’importance d’accorder une attention particulière aux besoins spécifiques des enfants dans le processus de DDR.

Monsieur le Président, excellences, mesdames et messieurs,

Au-delà de mes visites de terrain qui ont permis un engagement direct avec les autorités nationales, j’ai saisi toutes les opportunités avec les bâilleurs pour mobiliser l’appui aux plans d’action, mais aussi sur le plan politique avec les acteurs ayant une influence sur les parties au conflit pour faire cesser les violations.

Afin de soutenir les progrès réalisés, et accélérer la mise en œuvre des plans d’action, j’ai lancé la semaine dernière la campagne « Enfants, Pas Soldats », conjointement avec l’UNICEF, pour mettre fin d’ici 2016 au recrutement et à l’utilisation des enfants par les forces armées en conflit. Faisant le constat qu’il existe désormais un consensus autour de la condamnation du recrutement d’enfants dans les situations de conflit, cette initiative vise à accélérer la cadence en soutenant le développement de feuilles de route avec les huit Gouvernements dont les forces armées figurent sur la liste du Secrétaire général en annexe du rapport annuel sur le sort des enfants en temps de conflit armé. Ces feuilles de route sont des outils essentiels pour faire état des progrès accomplis et identifier les lacunes et les mesures à prendre sur le terrain pour atteindre les objectifs fixés par les plans d’action.

Le redoublement de nos efforts pour mettre fin au recrutement et à l’utilisation des enfants dans les forces armées ne nous fait pas oublier l’importance de la poursuite de notre engagement avec les acteurs armés non-étatiques pour mettre un terme aux violations graves contre les enfants. Pour faire face aux défis liés au dialogue avec les groupes armés, je soutiens l’élaboration de stratégies multidimensionnelles qui intègrent à la fois les volets politique, militaire, juridique et judiciaire. Cette approche vise à favoriser la prise en compte de la protection de l’enfance dans les accords de paix et dans l’établissement des mécanismes de sanctions, mais aussi dans le cadre des opérations militaires et de la réponse judiciaire qu’elle soit nationale, transitionnelle ou internationale. Ces stratégies doivent également être adaptées au caractère hétérogène des groupes armés. La mise œuvre de telles stratégies requiert une forte volonté politique et une solide coordination des différents acteurs concernés. A savoir, les gouvernements, les missions onusiennes politiques ou de maintien de la paix, l’UNICEF, ainsi que la société civile.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Comme vous le savez, le 7 mars 2014, le Conseil de Sécurité a adopté à l’unanimité la résolution 2143 qui consolide le cadre normatif relatif à la protection des enfants affectés par les conflits armés et réaffirme la ferme volonté du Conseil de maintenir la centralité de cette question dans son agenda Paix et Sécurité. Par ailleurs, faisant suite à sa Résolution 1998 adoptée en 2011, le Conseil de Sécurité, par cette nouvelle résolution, réaffirme le droit à l’éducation en situations de conflit, et ce, en renforçant la protection des écoles contre leur utilisation à des fins militaires. J’invite les Etats membres à soutenir la mise en œuvre de cette résolution.

Dans les situations de crise, l’éducation est trop souvent considérée comme un besoin secondaire, c’est pourquoi nous devons tous œuvrer pour la pleine reconnaissance du rôle essentiel et protecteur que l’éducation peut jouer en temps de conflit. En 2013, nous avons assisté à un phénomène grandissant et inquiétant d’attaques contre les écoles notamment, en Syrie, en Afghanistan et au Nigeria. La liste des pays touchés est de plus en plus longue. A cet égard, nous devons redoubler nos efforts pour accroître la surveillance et la communication de l’information sur les attaques contre les écoles, mais aussi sur celles ciblant les hôpitaux. En collaboration avec nos partenaires, mon bureau a élaboré une note directive pour l’application de la résolution 1998 du Conseil de sécurité. Cette note sera prochainement publiée et diffusée pour faciliter le travail de nos partenaires sur le terrain.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi également de rappeler aux États membres qui ne l’ont pas encore fait, de signer et ratifier le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (OPAC). A cet égard, je félicite l’Estonie et Sainte-Lucie qui ont ratifié cette année le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (OPAC), portant à 154 le nombre total de ratifications. Je souhaite réitérer mon appel pour que ceux qui ont déjà ratifié le Protocole facultatif, ainsi que les organisations régionales et intergouvernementales, proposent une assistance technique aux États Membres qui envisagent la ratification.

Notre préoccupation profonde pour le sort de milliers d’enfants ne doit pas résonner comme un constat alarmant. C’est un appel à agir, un appel à sauver des générations en danger.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs, je compte sur votre soutien et je vous remercie pour votre attention.