Par Priyanka Pruthi, UNICEF
Grace Akallo a été enlevée par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony et obligée à se battre – pour vivre. Elle parle de sa captivité et de la manière dont l’éducation est devenue un espoir, un salut – et de son envie de se battre pour la paix.
NEW YORK, États-Unis – Elle parle de sa captivité avec une dissociation calculée. Il est très difficile d’en parler, explique-t-elle. Après dix-sept ans, il est toujours aussi douloureux de regarder en arrière, c’est pourquoi elle a besoin de tenir son passé à distance pour pouvoir partager son histoire.
« Cet endroit était comme une tombe. C’était comme… le bout du monde ».
Six pieds sous terre
Grace Akallo n’avait que 15 ans lorsqu’elle a été capturée par la LRA de Joseph Kony à Aboke, au nord de l’Ouganda. Ce groupe militant est connu pour les agressions sexuelles, les enlèvements et l’assassinat de milliers de civils. Grace se souvient de chaque minute de cette journée avec précision.
« C’était le 9 octobre 1996… notre fête de l’indépendance. D’après les rumeurs, les rebelles arrivaient, la peur était palpable. Nous sortions de l’école en courant et nous cachions dans les buissons dès que nous croyions qu’ils arrivaient », se souvient-elle.
Et ils sont arrivés. Ils ont attaqué son pensionnat et ont enlevé 139 filles. Peu après, 109 élèves du couvent ont été libérées grâce aux supplications répétées de la directrice, mais Grace n’en faisait pas partie. Elle faisait partie des 30 captives emmenées au Sud-Soudan, où elles ont été torturées, violées, et forcées à tuer.
« D’abord, j’avais même peur de frapper quelqu’un d’autre de peur de lui faire mal », explique-t-elle. Lorsque j’ai été forcée de tuer un autre être humain… j’ai vraiment changé. J’ai été affectée psychologiquement. Voir quelqu’un souffrir parce qu’il subit des mutilations, c’est la pire des choses à voir ».
Les enfants n’ont pas été formées en tant que soldats. Elles ont appris à démonter, nettoyer et assembler les armes et ont été mises en situation – en combattant contre l’Armée populaire de libération du Soudan. « C’était la loi du plus fort », explique Grace. « Il fallait tirer pour avoir à manger, se battre en première ligne pour survivre . [La LRA] disait que la faim et la soif nous enseigneraient tout ».
La culpabilité de survivre
Après sept mois de captivité et d’abus, Grace a réussi à s’enfuir lors de l’attaque de la LRA par les rebelles du Sud-Soudan. Des villageois de la région l’ont orientée vers des soldats ougandais, et elle a pu rapidement retrouver sa famille.
« Je m’isolais beaucoup… pas parce que je souffrais – j’ai été battue, j’ai subi des agressions sexuelles – mais surtout parce que j’avais laissé mes amies là-bas. Je culpabilisais d’avoir survécu. Je culpabilisais d’être libre alors que mes amies se trouvaient toujours avec les rebelles », explique-t-elle.
Malgré les blessures à vif de la guerre, Grace a décidé de reprendre ses études, au sein de l’établissement scolaire où elle avait été enlevée. Son regard s’illumine lorsqu’elle décrit son retour à l’école. « L’école est la meilleure chose qui me soit arrivée. L’éducation donne de l’espoir. J’avais l’espoir d’un avenir. »
L’espoir guérit
C’est l’espoir qui a guéri Grace. Il lui a donné la force d’achever son éducation secondaire et de poursuivre ses études à l’université chrétienne d’Ouganda. Deux ans plus tard elle a rejoint le Gordon College, aux Etats-Unis, et est aujourd’hui détentrice d’un Master de la Clark University en développement international et changements sociaux. Elle est convaincue que l’éducation donne aux enfants affectés par la guerre et le conflit un bouclier solide contre leur passé douloureux.
« Même les enfants qui ont passé plus de 10 ans en captivité peuvent s’en sortir avec le soutien, l’éducation et la formation adéquats, en étant acceptés dans la société ».
Un jour je pleurerai sur mon sort
Fondatrice de la United Africans for Women’s and Children’s Rights, une NGO dédiée à la protection des droits des femmes et enfants vulnérables, Grace Akallo est une fervente militante de la paix et porte-parole des enfants affectés par les conflits armés.
« Il faut que j’emploie la vie que j’ai reçue à quelque chose… pas à faire le deuil de ce qui m’est arrivé », affirme-t-elle. « J’ai été soutenue, je suis allée à l’école, et j’ai une famille qui me soutient et qui m’aime. Mais qu’en est-il des filles qui souffrent encore ? Elles sont toujours battues. Elles sont toujours rejetées. Elles n’ont toujours pas de foyer ni d’appui familial ni d’accès à des ressources, à une éducation ou à des soins de santé. Rien ! »
Dans un rapport récent au Conseil de sécurité des Nations Unies, le Secrétaire général a déclaré que la LRA figurait parmi les auteurs les plus tenaces de violations graves à l’encontre des enfants dans la région – ce qui continue de faire planer une ombre au-dessus de l’Afrique centrale. Sur la période de juillet 2009 à février 2012, près de 600 enfants ont été enlevés et recrutés par la LRA, essentiellement en République démocratique du Congo, mais aussi en République centrafricaine et au Soudan du Sud. Les filles enlevées par la LRA ont été « mariées » de force aux combattants, et celles qui se sont enfuies avec leurs bébés ont été stigmatisées par leur communauté.
Avec 416 000 personnes déplacées et 26 000 réfugiés à cause de la LRA, le groupe armé représente une menace sérieuse, à ce jour.
« Peut-être qu’un jour, quand il y aura la paix, je m’arrêterai pour pleurer sur mon sort », dit Grace. « Mais pour l’instant, j’estime que ce qui arrive doit cesser ».
Ce texte a tout d’abord été publié sur le site internet d’UNICEF.