Par Leila Zerrougui, Représentante spéciale pour les enfants et les conflits armés

Il y a un an, les représentants des huit derniers gouvernements identifiés par le Secrétaire général de l’ONU pour le recrutement et l’utilisation d’enfants dans leurs forces de sécurité se sont réunis à l’ONU à New York afin de déclarer leur engagement à prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’il n’y ait plus d’enfants au sein de leurs forces de sécurité.

Le rassemblement en lui-même était historique. Tout comme la campagne  «Enfants pas soldats », lancée  conjointement avec l’UNICEF il y a exactement un an. La campagne s’appuie sur le consensus international grandissant que les enfants n’ont pas leur place dans les forces de sécurité des états et vise à mobiliser le soutien nécessaire pour mettre fin et prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants par les forces de sécurité nationales des pays en conflit d’ici la fin de 2016.

Les pays concernés par la campagne sont l’Afghanistan, la République Démocratique du Congo, le Myanmar, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud et le Yémen.

Il nous reste encore beaucoup de travail à accomplir, mais nous avons déjà parcouru un long chemin. Il y a quelques années, il n‘était pas rare au cours de mes voyages d’être accueillie par des commandants militaires, entourés d’enfants en uniforme et portant des armes. Cela est devenu inacceptable aujourd’hui. Les gouvernements identifiés par le Secrétaire général de l’ONU reconnaissent que les enfants n’ont pas leur place dans leurs forces de sécurité et la plupart ont pris des mesures concrètes pour s’assurer que leurs enfants ne deviennent pas des soldats.

Au cours de la première année de la campagne, les progrès ont été constants. La campagne a reçu un large soutien et nous avons obtenu des résultats qui ont un impact positif sur la vie des enfants. Le Tchad a rempli toutes les réformes et les mesures inclues dans son plan d’action signé avec l’ONU et a été retiré de la liste de recruteurs d’enfants du Secrétaire général. Plus de 400 enfants ont été libérés de l’armée nationale du Myanmar. En 2014 en RDC, il n’y a eu qu’un seul cas de recrutement d’enfant par l’armée nationale, et celui-ci a rapidement été libéré. En Afghanistan, le recrutement d’enfants est en déclin et seulement 5 cas ont été recensés par l’ONU.

Six des sept pays toujours concernés par la campagne ont signé un plan d’action auprès de l’ONU et se sont réengagés à les mettre en oeuvre. Ces plans d’action  indiquent toutes les mesures nécessaires pour mettre fin et prévenir le recrutement d’enfants dans les forces gouvernementales.

La campagne «Enfants pas soldats » a également atteint son objectif de sensibilisation pour faire de la question des enfants soldats une préoccupation majeure de la communauté internationale. «Comment pouvons-nous vous aider?» est une question qui m’a été posée par les responsables de dizaines de pays, d’ONG, de partenaires de l’ONU, d’organisations régionales et bien d’autres. Des représentants des pays impliqués dans la campagne ont également rencontré les représentants d’autres pays qui ont mis fin à l’utilisation d’enfants soldats dans leurs armées, l’occasion pour eux de partager leurs expériences, leurs réussites et leurs défis.

Tout cela est positif, mais cette première année de campagne a également montré que la bonne volonté et les engagements auprès de l’ONU ne sont pas suffisants pour garantir que les enfants ne deviendront pas des soldats.

Le conflit au Soudan du Sud par exemple nous rappelle cruellement qu’agir sur les dispositions prévues par un plan d’action, telles que la création d’unités de protection de l’enfance dans les forces armées d’un pays, ou prendre des mesures pour criminaliser le recrutement d’enfants n’est pas suffisant pour garantir que les garçons et les filles seront pleinement protégés si le conflit frappe à nouveau.

Au Yémen, des mois de travail menant à la signature d’un plan d’action en mai 2014 ont été ralentis par la situation politique actuelle. Au lieu des progrès attendus, les données recueillies par l’ONU indiquent une hausse du recrutement d’enfants soldats par toutes les parties au conflit. Même le groupe armé Al-Houthi Ansar Allah, dont les dirigeants ont été activement engagés dans un dialogue avec l’ONU, ont manqué à leur engagement de protéger les enfants.

Nous ne pouvons plus nous permettre d’observer en silence tandis que les enfants paient une fois de plus le prix de l’instabilité politique dans leur pays. Nous rappelons aux différents groupes impliqués dans le conflit qu’ils ne peuvent ni recruter ni utiliser des enfants, que c’est un crime de guerre. Nous demandons à tous ceux qui sont impliqués dans les pourparlers de paix de s’assurer que la libération des enfants soit une priorité.

La grande leçon de cette première année de campagne est que la route vers des armées gouvernementales sans enfants est prometteuse, mais aussi remplie d’obstacles. Les défis de 2014 démontrent que, même si des mesures de protection des enfants sont mises en place, les acquis peuvent être perdus sous la pression du conflit.

Des défis communs

Nous comprenons également que de nombreux pays sont confrontés à des défis similaires et relever ces défis communs sera une priorité durant la deuxième année de la campagne.

La responsabilité judiciaire est au cœur de notre travail et pour l’améliorer, je compte encourager tous les pays concernés par la campagne qui ne l’ont pas encore fait à criminaliser le recrutement et l’utilisation d’enfants et à  préciser les conséquences pour les contrevenants. Les enquêtes et les poursuites contre les recruteurs d’enfants restent beaucoup trop rares, même dans les pays qui ont criminalisé le recrutement d’enfants. Sans sanctions, les enfants ne seront jamais pleinement protégés.

Un autre défi que la plupart des pays devra relever est la vérification de l’âge de leurs soldats. Cela peut sembler être un problème facile à résoudre, mais c’est en fait une tâche délicate et difficile à exécuter dans des pays qui n’ont pas de système d’enregistrement des naissances bien établis. L’ONU continuera de travailler avec les gouvernements pour mettre en place ou améliorer les procédures de vérification d’âge pour identifier les recrues encore mineures et les retirer de l’armée.

Libérer les enfants trouvés dans les rangs des forces nationales est essentiel, mais ils ne peuvent pas être laissés seuls à reconstruire leurs vies. Des ressources adéquates doivent être disponibles pour des programmes communautaires qui fournissent une assistance psycho-sociale et aident les enfants à construire leur avenir grâce à des opportunités éducatives et professionnelles. Aider les enfants et leurs communautés est la meilleure façon non seulement de prévenir le recrutement, mais également de construire la paix et la stabilité.

Tout au long de l’année, je vais continuer à tendre la main aux États membres concernés par la campagne, à la communauté internationale, aux organisations régionales et a tous les partenaires concernés pour mobiliser le soutien politique, technique et financier pour faire face aux défis rencontrés par les pays dans la mise en œuvre de leur plan d’action. C’est essentiel pour encourager et aider les pays concernés à mettre en place des mécanismes suffisamment forts pour préserver les progrès accomplis pour protéger les enfants du recrutement aussi bien en temps de paix qu’en temps de crise. La campagne a déjà reçu le soutien extraordinaire d’un grand nombre de partenaires qui peuvent stimuler les progrès. Cette année, je vous invite à vous joindre à nous, car, c’est en travaillant ensemble que nous pourrons faire en sorte qu’ils soient des enfants et non des soldats.