Bruxelles
3 décembre 2014

Madame la présidente du sous-comité des droits de l’homme, M. le Président de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs ;

Permettez-moi d’abord d’exprimer ma sincère gratitude pour l’organisation de cette séance de discussion sur la campagne Enfants, pas soldats, qui vise à mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants par les forces armées gouvernementales en conflit d’ici la fin de 2016 et pour votre intérêt soutenu pour protéger les enfants contre ce fléau.

Je tiens à remercier l’union Européenne et ses états membres pour leur soutien continu à mon mandat. L’Union Européenne et ses états membres n’ont pas manqué d’exprimer publiquement leur soutien à la cause des enfants et aux efforts entrepris par le système des Nations-Unies et la société civile pour aider les enfants pris dans l’engrenage des conflits armés.

Chaque année, la guerre détruit la vie de millions d’enfants et de leurs familles à travers le monde. Les enfants que je rencontre dans les zones de conflit ont une chose en commun : ils passent des années, sinon toute leur vie, à se remettre du traumatisme de la guerre. Leurs blessures sont physiques, psychologiques, émotionnelles et sociales.

Mon mandat a été créé par l’Assemblée générale suite à la publication, en 1996, du rapport de Graça Machel sur l’impact des conflits armés sur les enfants. Ce rapport a révélé au monde l’ampleur de l’utilisation des enfants soldats et la gravité de ses conséquences, démontré l’impact disproportionné de la guerre sur les enfants et les a identifiés comme principales victimes des conflits armés. Ce rapport a été reçu par la communauté internationale comme un appel agir et à renforcer nos mécanismes de protection de l’enfance.

Depuis 1999, l’engagement systématique du Conseil de sécurité a placé la protection des enfants affectés par les conflits armés au cœur de son agenda de paix et de sécurité internationales. Le Conseil de sécurité nous a dotés d’un cadre légal solide et d’outils pour documenter, dénoncer et répondre aux violations perpétrées contre les enfants.

Tout d’abord, le Conseil a défini six violations graves affectant les enfants en période de conflit :
• Le recrutement et l’utilisation d’enfants ;
• Le meurtre et la mutilation d’enfants ;
• La violence sexuelle contre les enfants ;
• Les attaques contre des écoles et des hôpitaux ;
• L’enlèvement d’enfants et
• Le déni d’accès humanitaire

Le Conseil a adopté des résolutions demandant à l’ONU :
• de recueillir et vérifier les informations détaillant où et comment les enfants sont affectés par les conflits armés, et à utiliser ces informations pour préparer et soumettre un rapport annuel au Conseil de sécurité ;
• de nommer les parties au conflit qui recrutent et utilisent des enfants, tuent et mutilent des enfants, commettent des viols et violences sexuelles sur les enfants et attaquent les écoles et hôpitaux ;
• d’engager un dialogue constructif avec les gouvernements et les groupes armés listés afin d’élaborer des plans d’action pour mettre fin et prévenir les violations contre les enfants.

Les plans d’action comprennent une série de mesures tangibles que les parties listées –étatiques ou non étatiques- doivent mettre en œuvre pour faire cesser les violations contre les enfants, les libérer et assurer le long processus de leur réintégration, mais aussi pour mettre en place des mécanismes pour prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants ainsi que les autres violations graves .

Pour l’exécution du mandat, mon bureau travaille étroitement avec l’ensemble du système des Nations Unies – UNICEF étant un partenaire principal-, nos partenaires de la société civile, les organisations régionales et sous régionales, et avec le soutien actif de plusieurs pays. Sur le terrain, la mise en œuvre des plans d’action est coordonnée par une équipe spéciale de pays, une « task force », co-présidée par la plus haute autorité représentant les Nations Unies dans le pays et le représentant de l’UNICEF.

Actuellement, 23 situations de conflit sont inscrites à l’agenda du Secrétaire général des Nations-Unies ; 59 Parties sont listées dont 8 sont des forces de sécurité gouvernementales et 51 des acteurs non étatiques.

Parmi ces 23 situations de conflit, il faut compter au moins 6 crises majeures incluant des groupes tels ISIL et Boko Haram qui utilisent des tactiques d’extrême violence dont les enfants en sont le plus souvent les victimes directes ou indirectes. Au Moyen-Orient, les conflits en Syrie, en Irak et en Palestine ont un impact dévastateur sur les enfants. Je suis également préoccupée par la situation en Libye et au Yémen.

En Afrique, les enfants sont extrêmement affectés par les conflits au Soudan du Sud, en République centrafricaine et au Nigéria.

Je suis aussi préoccupée du sort des enfants dans des situations de conflits qui durent depuis des années, voire des décennies tels qu’en Afghanistan, en Somalie, au Soudan ou en République démocratique du Congo. Au Mali, malgré une amélioration de la situation sécuritaire, le pays demeure fragile.

Alors que nous venons de célébrer le 25eme anniversaire de l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, il est important de s’arrêter pour constater le long chemin que nous avons parcouru pour améliorer la protection des enfants. En ratifiant la Convention, 194 pays ont reconnu que les enfants, garçons et filles ont des droits que les gouvernements ont la responsabilité de protéger.

Cependant, les progrès réalisés au cours des 25 dernières années demeurent inégaux. En temps de conflit, les enfants continuent d’être tués, mutilés, recrutés et utilisés par les forces et groupes armés, privés de soins de santé et d’éducation. Malgré tous nos efforts, les conclusions de Graça Machel sont malheureusement toujours d’actualité.

Dans mes voyages dans les zones de conflit, je rencontre trop d’enfants forcés d’abandonner leur maison, dans certains cas, sans leurs familles. Récemment, j’ai rencontré un petit garçon qui, au début de la dernière crise au Soudan du Sud s’est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Sept mois après avoir été blessé par balle, il avait encore du mal à marcher et ne savait pas où se trouvait sa famille. Il reconstruisait sa vie, sa santé, dans un centre pour enfants soutenu par l’ONU où il continuait de recevoir des traitements. Il fait partie de ceux qui ont la chance de bénéficier d’une telle prise en charge. Trop souvent, ces services ne sont pas disponibles.

Chers collègues, Mesdames et Messieurs

Malgré tous les défis qui restent à relever, nos années d’engagement avec les parties au conflit pour mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants commencent à porter fruit. Nous pouvons maintenant affirmer qu’un consensus est en train d’émerger parmi les gouvernements du monde que les enfants n’ont pas leur place au sein des forces armées en conflit.

Forte de ce consensus, j’ai lancé la campagne Enfants, pas soldats, conjointement avec l’UNICEF, pour mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants par les forces armées gouvernementales en conflit d’ici la fin de 2016.

Au moment du lancement de la campagne, huit forces armées gouvernementales étaient listées dans les annexes du rapport annuel du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés pour recrutement et utilisation d’enfants. Ce sont l’Afghanistan, le Tchad, la République démocratique du Congo, le Myanmar, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan et le Yémen. Ces gouvernements étaient avec nous au moment du lancement pour exprimer leur engagement à réaliser les objectifs de la campagne. Je tiens à souligner leur présence à nouveau aujourd’hui.

Sept de ces pays ont signé des plans d’action avec les Nations Unies pour mettre fin et prévenir le recrutement d’enfants dans leurs forces armées. Ces gouvernements ont exprimé leur volonté de tourner la page sur le recrutement d’enfants. Les Nations Unies ont l’expertise technique pour soutenir leurs efforts dans le processus de mise en œuvre des plans d’action.

Je me suis engagée personnellement, avec l’UNICEF et d’autres partenaires, à faire en sorte que ces pays aient accès aux ressources et au soutien technique nécessaires pour non seulement avancer, mais compléter la mise en œuvre de ces plans d’action d’ici deux ans.

En à peine neuf mois depuis le lancement de la campagne, nous avons réalisé des progrès significatifs.
• En mai, le gouvernement du Yémen a signé un plan d’action avec les Nations Unies ;
• Avec le plein soutien des Nations Unies, le Tchad a complété toutes les exigences de son plan d’action et son armée nationale a été retirée de la liste du Secrétaire général ;
• Le gouvernement de l’Afghanistan a adopté une feuille de route pour accélérer la mise en œuvre de son plan d’action ;
• Le Myanmar progresse dans la mise en œuvre de son plan d’action et a libéré 373 enfants cette année ;
• La Somalie a mis en place des mécanismes pour le transfert à l’ONU des enfants trouvés dans les rangs de son armée et a créé une unité de protection de l’enfance dans ses forces armées ;
• Le gouvernement du Soudan du Sud s’est formellement réengagé à mettre en œuvre son plan d’action. Une cérémonie officielle pour le lancement de la Campagne Enfants pas Soldats s’est tenue le 29 octobre durant laquelle le Ministre de la défense a annoncé publiquement que la vérification de l’âge des soldats dans toutes les casernes du SPLA allait être lancée.

• En République Démocratique du Congo, le gouvernement a nommé une représentante personnelle du Chef de l’Etat chargée de la lutte contre les violences sexuelles et le recrutement des enfants Le Gouvernement vient de me communiquer un rapport détaillé des mesures prises depuis juin 2013 pour compléter la mise en œuvre du plan d’action signé avec les Nations Unies en 2012 et les progrès sont tangibles.
• Le Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que l’Assemblée générale ont endossés la campagne. La Ligue arabe, l’Union africaine et bien sûr, l’Union européenne ont aussi exprimé leur soutien aux objectifs de la campagne.

Je suis encouragée par ces progrès, par le soutien ainsi que la dynamique créée par la campagne. Mais, à deux ans de l’échéance, il reste énormément de travail à accomplir pour s’assurer que les enfants soient protégés du recrutement dans les forces de sécurité nationales de ces pays.

Mettre fin au recrutement d’enfants par les forces gouvernementales dans les deux prochaines années est possible, mais seulement si nous travaillons ensemble, et seulement si nous partageons notre expertise et nos ressources.

Chers collègues, Mesdames et Messieurs

Pour nous aider à mieux protéger les enfants des conflits – et aussi atteindre l’objectif de la campagne, je voudrais vous inviter à maintenir l’engagement politique fort de l’Union Européenne.
• Cet engagement politique doit se manifester sur le terrain à travers vos ambassades dans les pays concernés par la campagne, mais aussi dans les autres pays ou les enfants sont affectés par les conflits armés ;
• Toujours sur le terrain, l’Union européenne devrait assurer une coordination et un soutien étroits avec les « task force », les équipes spéciales de pays chargées de la mise en œuvre des plans d’action et de toutes les questions liées aux enfants affectés par les conflits armés ;
• L’union européenne peut nous aider à garantir une assistance à l’étape la plus longue et la plus coûteuse du processus de plans d’action : la réintégration des anciens enfants soldats, qui doit se faire par l’éducation, la formation et l’emploi des jeunes, ainsi que l’assistance psycho-sociale;
• L’Union européenne peut fournir expertise et soutien pour renforcer l’administration de la justice, appuyer les reformes entreprises et promouvoir la lutte contre l’impunité des auteurs de violations envers les enfants ;
• Continuer à soutenir l’intégration de la protection des enfants dans les activités de l’Union européenne et soutenir la protection de l’enfance au sein des autres organisations régionales
• L’Union européenne pourrait considérer la possibilité de produire un rapport interne qui donnerait suite à celui publié cette année sur les enfants et les conflits armés ;
• Lorsque cela est possible, l’Union européenne peut entamer des démarches auprès des gouvernements et des autres parties au conflit pour mettre fin aux violations graves contre les enfants.

La campagne Enfants, pas soldats nous donne l’opportunité de réaliser conjointement des actions qui auront un impact réel dans la vie de milliers d’enfants. Je suis convaincue que c’est une occasion que nous ne laisserons pas passer.

Je vous remercie encore une fois.