Par Junior Nzita Nsuami
Je m’appelle Junior Nzita Nsuami et je suis un ex enfant soldat. Mon histoire est longue et dure à raconter. Mon enfance n’a pas été comme celle des autres enfants. Elle a été volée, aliénée, privée d’affection maternelle et de la protection de mon pays.
En 1996, j’ai quitté mes parents qui vivaient à Goma, la capitale du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, pour continuer mes études à Kiondo, un lointain village. Un jour là-bas, mes amis et moi avons été surpris par des soldats de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), qui nous ont forcés à rejoindre leurs troupes. Sans mon consentement ou celui de mes parents, je suis devenu soldat à l’âge de douze ans et j’ai combattu le régime de Mobutu Sese Seko.
Rapidement après notre recrutement forcé, mes amis et moi avons été transférés dans un centre de formation où on nous a appris à utiliser des armes, à tuer et haïr nos semblables.
Un an plus tard, en 1997, Mobutu a été chassé du pouvoir. L’AFDL avait rempli sa mission, mais la mienne se poursuivait. J’étais toujours un enfant soldat.
Après avoir été muté à Matadi, ville portuaire de la province du Bas-Congo, le désir de reprendre une scolarité normale a commencé à m’envahir tous les jours.
J’ai demandé une mise en disponibilité auprès de mon chef et c’est ainsi qu’en 2000, j’ai pu reprendre mes études.
J’avais été contraint d’abandonner l’école à l’âge de douze ans. J’en avais alors quinze et je venais de passer trois longues et dures années dans un autre monde, portant une arme à la place du cartable, une baïonnette comme stylo, des munitions au lieu d’ouvrages scolaires.
Ma réintégration dans la société a été pénible. J’ai dû réapprendre à vivre une vie normale, changer mes habitudes et penser différemment. Il a fallu que je me réhabitue à être un citoyen qui respecte ses voisins, ses amis et sa communauté. Après avoir passé des années à être témoin d’abus de toutes sortes, j’ai réalisé qu’il était temps de protéger la nature, les richesses du pays et de travailler à reconstruire ma patrie.
En Octobre 2001, j’ai eu la chance d’être adopté par une famille qui a su m’offrir un cadre de vie stable et propice à la reprise de mes études. Quatre années plus tard, j’ai obtenu mon baccalauréat en Sciences Techniques Sociales.
En 2006, Quand la commission Nationale de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion est arrivée à Matadi pour proposer aux ex enfants soldats de quitter définitivement l’armée pour réintégrer la vie civile, j’étais prêt. Je suis allé signer ma démobilisation officielle. Dix ans s’étaient écoulés entre ma conscription et ma démobilisation.
Au Congo et ailleurs dans le monde, il y a des centaines de milliers d’enfants qui ont été soldats ou le sont toujours. Ce sont des enfants qui ont été forcés d’arrêter leurs études, qui ont été exposés à des guerres d’adultes et en subissent les conséquences. Ils sont traumatisés et doivent continuer à vivre souvent sans aucune prise en charge médicale, psychologique ou sociale. Beaucoup d’entre eux vivent dans le dénuement total avec un profond sentiment d’infériorité et de culpabilité.
Beaucoup de familles et de communautés locales refusent de récupérer les enfants soldats démobilisés. Ils sont devenus des inconnus et on les craint. On les considère violents, drogués et dangereux à cause des crimes qu’on leur a fait commettre.
Profondément marqué par ma propre expérience, je me suis investi depuis ma démobilisation dans le travail communautaire pour l’encadrement des enfants défavorisés afin de servir d’exemple et leur éviter ce qui m’est arrivé. J’ai créé en décembre 2010 une association appelée « Paix pour l’enfance ».
L’association, basée à Kinshasa, apporte un soutien moral et matériel à ces enfants qui sont rejetés par leur propre société. Elle facilite la médiation entre les enfants marginalisés vivant dans la rue et leurs familles pour les aider à réintégrer le foyer familial.
L’association apporte aussi un soutien à des centaines d’enfants démunis qui désirent retourner à l’école, car je suis convaincu que c’est par l’éducation qu’ils peuvent entrevoir un avenir meilleur.
Mes collègues et moi sommes en train de mettre en place un centre d’alphabétisation, de formation et d’apprentissage des métiers manuels. Nous préparons aussi la création d’un centre d’hébergement qui logera des enfants en attente de réinsertion dans leurs familles.
Notre association fait aussi de la sensibilisation et de la vulgarisation par le biais de formations sur les différents articles portant sur la protection des droits de l’enfant. Il faut que les enfants en apprennent plus sur leurs droits et aient des outils pour prévenir le recrutement par des groupes armés.
Je leur parle aussi de ma propre histoire pour qu’ils comprennent bien le danger et les conséquences de la vie d’enfant soldat.
Je souhaite pour l’avenir que tous les enfants aient des chances égales de réussir leur vie, c’est-à-dire qu’ils soient tous protégés et puissent grandir en sécurité. Je demande aussi à la société de ne pas rejeter ces ex-enfants soldats. La place des enfants, c’est en famille, à l’école, et non dans les groupes armés à faire la guerre.
Je continue de travailler tous les jours pour construire mon futur et j’espère avoir la chance de continuer mes études pour avoir la capacité de mieux défendre les droits fondamentaux des enfants.
Junior Nzita a écrit un livre dans lequel il raconte comment sa vie a été bouleversée par sa conscription à l’âge de 12 ans. Son livre « Si ma vie d’enfant soldat pouvait être racontée » est disponible aux éditions Persée. Les recettes de la vente du livre vont à la réalisation des projets de l’association Paix pour l’enfance.