Statement delivered in French (English translation in the video below)
Allocution de la Représentante spéciale du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés au débat public du Conseil de sécurité
25 mars 2015
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Distingués membres du Conseil,
Permettez-moi tout d’abord de remercier la France pour l’organisation de ce débat public sur le sort des enfants en temps de conflit armé et pour votre soutien continu à mon mandat. Je me réjouis que le Conseil continue de considérer la question des enfants affectés par les conflits armés comme une priorité.
Il m’est toutefois pénible de constater que malgré le consensus et nos efforts conjugués pour épargner aux enfants les affres de la guerre, nous sommes chaque année confrontés à de nouveaux défis. En ce début d’année 2015, c’est la violence des groupes armés et la brutalité avec laquelle ils traitent les enfants qui constituent notre défi majeur. C’est le cas en Syrie, en Iraq, au Nigéria, mais aussi dans d’autres pays. Des conflits récurrents se sont intensifiés et l’expansion des groupes armés prend des proportions inquiétantes. Vous revenez de la République centrafricaine, où des milliers d’enfants continuent d’être associés aux groupes armés. Les défis à leur protection ne vous ont certainement pas échappés.
Le débat d’aujourd’hui est pour tous ces enfants car nous devons poursuivre nos efforts et adapter notre réponse aux défis colossaux qui se présentent à nous.
Les groupes armés constituent la vaste majorité des auteurs de violations contre les enfants. Ils représentent 51 des 59 parties listées dans les annexes du rapport annuel du Secrétaire général sur le sort des enfants en temps de conflit armé.
Comme le Secrétaire général vient de le mentionner, les groupes armés se revendiquant d’idéologies extrémistes, s’emparent de vastes territoires, effacent les frontières, utilisent des tactiques de plus en plus brutales et recourent aux technologies modernes de communication pour leurs campagnes de recrutement mais aussi pour exposer leur brutalité. Comme en témoignent les agissements de Daach ou Boko Haram, les enlèvements de masse de femmes et d’enfants sont en passe de devenir une tactique de guerre utilisée de façon systématique pour terroriser, soumettre et humilier des
communautés entières. Les enfants enlevés le sont aussi à des fins de recrutement et d’utilisation pour toutes sortes de tâches, y compris celles de boucliers humains ou par l’utilisation des corps des petites filles pour commettre des attentats suicide. Les enlèvements d’enfants ont toujours été une composante des conflits et une violation sur laquelle nous rapportons chaque année au Conseil. Toutefois, ces enlèvements de masse se sont multipliés dans plusieurs zones de conflit.
C’est pourquoi j’invite le Conseil à accorder toute son attention à ce phénomène inquiétant.
Les écoles ou les hôpitaux ne sont pas épargnés comme en témoignent les attaques récurrentes de Boko Haram ou l’attaque en décembre 2014 par le Tahrik-i-Taliban sur une école de Peshawar, au Pakistan, attaque dans laquelle 132 enfants ont été massacrés et 133 autres blessés. Mais les écoles ne sont pas seulement attaquées pour tuer, elles le sont aussi pour endoctriner les générations futures et les radicaliser.
Dans pratiquement toutes les situations en conflit, les filles sont trop souvent les victimes de l’ombre. Elles subissent les mêmes sévices que les garçons, mais aussi des violences qui les affectent parce qu’elles sont des filles. Elles sont violées, « mariées » à des membres de groupes armés ou forcées à l’esclavage sexuel. Leur droit à l’éducation leur est refusé.
Des progrès ont certes été enregistrés mais beaucoup reste à faire pour répondre efficacement aux difficultés et à la complexité des situations auxquelles les filles sont confrontées.
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Distingués membres du Conseil,
Il est important de rappeler qu’il est possible d’engager un dialogue constructif avec les groupes armés même si ces groupes ne constituent pas un ensemble homogène. La structure, les revendications et aspirations de chacun sont diverses. L’accès et la communication à ces groupes ne sont pas toujours aisés. Dans le cadre de mon mandat, je m’efforce de favoriser une approche qui tient compte du contexte et exploite toutes les opportunités d’engagement possibles.
Alors que nous commémorons cette année le dixième anniversaire de la résolution 1612, je tiens à souligner que les outils adoptés par le Conseil ont démontré leur efficacité. La majorité des 23 plans d’actions signés jusqu’à présent, l’a été avec des groupes armés. D’autres processus de dialogue sont en cours. Les Nations Unies et d’autres acteurs de la société civile sont également engagés sur le terrain pour faire cesser les violations et négocier la libération des enfants. C’est le cas notamment au Soudan du Sud où le groupe armé de David Yau Yau a récemment libéré et remis aux acteurs nationaux et internationaux de la protection de l’enfance plus de 1300 enfants.
En République centrafricaine et en République Démocratique du Congo, les activités de sensibilisation des Nations Unies auprès des groupes armés ont permis la libération de près de quatre mille enfants en 2014. Au Darfur, un engagement continu de la MINUAD a amené certains groupes à prendre des mesures concrètes pour mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants. C’est aussi le cas au Mali, où la MINUSMA a obtenu du MNLA et d’autres groupes armés l’engagement de faire cesser les violations contre les enfants.
Les médiations et processus de paix représentent un point d’entrée pour obtenir des parties des engagements fermes de stopper et prévenir les violations. Cela a été possible en République centrafricaine avec l’accord de Brazzaville mais aussi dans le cadre du processus de paix aux Philippines. Nous devons cependant nous assurer que la protection des enfants fasse partie des négociations de manière cohérente et systématique, et qu’elle soit reflétée dans tout accord de paix. Je sollicite votre appui et celui de tous les partenaires car la prise en compte de la protection des enfants est essentielle pour construire une paix durable.
Pour les groupes armés peu réceptifs à un dialogue avec les Nations Unies, il est impératif d’identifier et activer les moyens de pression que chacun d’entre nous peut utiliser afin de les amener à cesser les violations contre les enfants. Une approche multidimensionnelle s’impose. En plus de la pression militaire qui dans certaines situations est salutaire, il ne faut pas négliger l’importance de la pression judiciaire et des sanctions. Mais pour y parvenir il faut travailler au renforcement de la réponse judiciaire nationale et à la coopération internationale en matière pénale. Ces outils sont essentiels pour lutter contre l’impunité, le terrorisme et le crime organisé transnational.
Les initiatives prises par les États et l’ensemble de la communauté internationale pour contrer la menace que les groupes extrémistes font peser sur la paix et la sécurité internationales sont nécessaires. Mais nous devons nous assurer que ces mesures n’engendrent pas de nouveaux risques pour les enfants. C’est pourquoi la réponse, comme vous l’avez souvent rappelé et je vous en remercie, doit être menée dans le respect du droit international humanitaire, des réfugiés et des droits de l’homme. Les mesures prises pour combattre ces groupes doivent être bien encadrées pour prévenir les violations et la stigmatisation de communautés entières.
C’est d’autant plus important que souvent des milices sont associées à la lutte contre le terrorisme. La réponse doit aussi se pencher sur les causes profondes qui ont favorisé l’émergence de ces groupes. C’est le seul moyen de les isoler, de délégitimer leur discours et de rallier le soutien des populations.
Par ailleurs, il n’est pas rare que les enfants associés ou suspectés d’association aux groupes armés soient arrêtés et maintenus en détention, parfois dans des conditions déplorables, sans inculpation, ni jugement. Lorsqu’ils sont inculpés, ils sont déférés devant des juridictions spéciales ou militaires qui les privent de leur droit à une justice impartiale et réparatrice et qui prend en considération leur statut de mineur. Les enfants associés à des groupes armés sont avant tout victimes de ces groupes mais aussi victimes de notre incapacité à assurer leur protection. Je saisis cette opportunité pour plaider leur cause.
La réintégration réussie des enfants séparés des groupes armés est une composante essentielle d’une paix durable. Elle est aussi un outil de prévention pour le recrutement des enfants. Cependant, il n’est pas toujours facile de développer et soutenir des programmes bien adaptés aux besoins des enfants et de communautés où les opportunités sont limitées. De nouveaux défis se révèlent quant à la réintégration d’enfants associés à des groupes extrémistes, exposés à leur violence et endoctrinés par une idéologie radicale. L’impact de leur association à ces groupes peut laisser des traces indélébiles. Leur réintégration exige des programmes structurés et spécialement adaptés à leurs besoins. C’est pourquoi je sollicite votre soutien pour de tels programmes, essentiels pour reconstruire le futur de ces enfants et de leurs communautés.
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Distingués membres du Conseil,
La Campagne « Enfants, Pas Soldats » a maintenant un peu plus d’un an. Lancée conjointement avec l’UNICEF, cette campagne a pour but de mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants par les forces armées gouvernementales en conflit d’ici la fin de 2016.
Votre soutien nous a permis de réaliser des progrès significatifs. Cependant, à un peu moins de deux ans de l’échéance, il reste énormément de travail à accomplir. Les conflits au Soudan du Sud et au Yémen nous rappellent aussi que les avancées réalisées peuvent se transformer en reculs et poser de nouveaux défis. Il est essentiel de tirer les leçons de ces crises et de travailler avec tous nos partenaires pour consolider les acquis et s’assurer que les mesures mises en place soient institutionnalisées et pérennisées.
Il est important de souligner que la majorité des groupes armés nommés par le Secrétaire général sévissent dans les pays concernés par la campagne. Mettre fin et prévenir le recrutement d’enfants par les forces de sécurité nationales, c’est aussi mettre en place des mesures qui aideront ces gouvernements et la communauté internationale à s’attaquer aux violations perpétrées par les acteurs non-étatiques à l’encontre des enfants.
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Distingués membres du Conseil,
En conclusion, je vous exhorte à poursuivre vos efforts et à utiliser tous les outils à votre disposition pour protéger les enfants affectés par les conflits armés. Votre mobilisation et votre soutien nous sont indispensables pour répondre aux nouveaux défis et assurer une meilleure protection aux enfants.
Je vous remercie.